En exclusivité pour "Honfleurissimo!!!" : "Honfleur", par le poète Nicolas Saeys...



Nicolas Saeys, poète natif de Honfleur, nous offre en exclusivité la primeur de son poème dédié à la plus belle ville du monde... Toute l'équipe de "Honfleurissimo!!!" le remercie chaleureusement, en attendant une présentation plus complète de cet artiste pour le moins talentueux et original...






Nicolas Saeys vu par PIBOI ------->









Honfleur
C’est un regard apprivoisé ;
le nôtre, le mien.

Un port frais, bandé de feu.
Des V blancs dans le ciel clair,
des silhouettes dans l’azur brumeux.

C’est un paysage ;
de jaune ou de blanc. Sans noirceur.

Honfleur est le lieu de la naissance.

Je suis né un jour de fête, de repos.

C’était un midi, le dimanche,
nostalgie cristallisante.
ou le midi, un dimanche,
cristallisation nostalgique.

Temps de douleur et de délivrance .

Temps de mort teinté de vie.

L’œil ouvert
d’une vision multiple,
illuminé du monde.

L’enfance
est un pays versifié de mers,
houleux de souvenirs,
s’échouant aux murs du château fort.

Oui. À cet âge,
rien n’est plus fort que les sens,
rien n’est plus faible que les mots.

J’ai déniché la clef de ce rêve

dans la vase du Vieux-Bassin
(combien ai-je sué dans cette aventure),
j’ai remonté la Côte de Grâce,
au-dessus des toits d’argent et d’ardoise.

C’est au clair de lune
que j’ai vu miroiter l’alliance maternelle,
pendue par un cheveu blond,
qui servait de trousseau unique.

Effrayé par ce mystère,
m’envoûtant dans une obscurité
où planait l’ombre haletante
d’une énigme hasardeuse,

j’ai laissé le rêve tel qu’il est,
et sera toujours,
dans les ballets de feuilles mortes,
depuis la hauteur du Mont Joli,
enfermé dans une aube rieuse.

L’œil voit, observe,
jusqu’à n’être plus
qu’un reflet sensible
d’indiscipline et de révolte.

Le réveil
est un appel à la liberté,
Avenue de la République,
avenir des deux côtés
de ma chair et de mon esprit,
face à l’écueil des vents de l’horizon.

J’ai pris conscience
d’une certaine poésie

tel un cœur plongé dans l’idéal
avant d’être recouvert d’une couche d’étain.

Sans art ni langage en ce genre,
j’appris à écouter l’autan,
refrain d’oubli des tumeurs viscérales.

Ce qui ne me paraissait pas définissable
- par le verbe -,
je lui attribuais quelque nature divine.

Parce que le cœur des choses n’est pas verbal ;
le cœur des choses n’est que source de poésie.

C’est un coup de poing spirituel,
apprentissage humiliant l’orgueil des mortels.

N’être ni Dieu, ni créateur, ni parole ;
qu’un homme, créatif, hâbleur,
allant d’un bout à l’autre d’une perception sans découverte.

De quoi se détourner de l’Église Sainte-Catherine,
et de vivre cloîtré sur une île déserte, à l’abri des rictus.

Quand TOUT est perdu d’avance,
que RIEN n’est gagné sans volonté,
il y a de la nonchalance à user d’outils.

Il arriva qu’un soir, au crépuscule,
attentif aux roucoulements d’un volatile,
je demandai à un agriculteur bonhomme :

« Quel est cet oiseau ? »
« C’est le chant de la tourterelle »,
me répondit le paysan.

J’avais usé du verbe comme un objet d’images et d’échos.

Il m’avait l’air au début d’un machin avec des bidules.

Le premier que j’empruntai pour le faire résonner,
je le cassai dans ma boîte crânienne.

« Vous n’avez rien entendu ? »
demandais-je alors aux passants,
qui me prenaient pour un fou furieux.

Les tours d’escamoteurs ne suffisaient pas :
mes jongleries en firent rire plus d’un.

En cognant les objets les uns contre les autres,
décidément, ça ne chantait pas, ça résonnait bêtement.

Si ça continuait,
j’allais régresser à l’état d’homme-singe.

J’avais la volonté de pouvoir,
mais je la commandais.
Elle ne resta pas chez moi très longtemps.

Mais quand je quittai mon bureau,
elle revint de plus belle ;
elle n’était pas claire dans ma tête.

Je me résolus à lui tenir la main
comme un mari résigné.

Les gens me plaignaient en disant :
« quel imbécile !… »

Moi, j’étais content de ce mariage d’appréhension des choses.

Ce n’était pas qu’une volonté humaine, mais une volonté poétique.

Le monde ne s’arrête pas
à l’œil vif ni à l’observation dense.

Je m’agaçai moins à propos du verbe,
tentant de le saisir avec la main,
ou plutôt d’en happer ce que j’appelais « substance »,
d’arracher les faces de l’objet en y cassant mes ongles.

Je m’imaginais qu’un puits interne,
à l’échelle atomique, infinitésimale,
en illuminait les parois, d’où ma recherche profonde.

Dans le miroir,
on s’attache d’abord au reflet,
ensuite à ce qui reflète.

Il y a des mirages formés à partir d’une glace.

La poésie serait un reflet dont la réflexion semble imperceptible.

Il n’y avait pas que cela ;
un jour, la brume et la pluie
qui martelaient la fenêtre de ma chambre

m’engagèrent à parcourir
la place de l’Hôtel de ville,
le poing posé contre le menton.

Que croyais-je y trouver ? Je n’y trouvai rien.
Sauf que les côtés imparfaits brillaient comme un phare.

Ça faisait loin, tout de même.

Un fanal, c’est corrélatif à la forme vivante de l’objet.
C’était un lieu fantasmagorique sans valeur significative.

Lorsque j’écrivis au retour, je ne m’en doutais pas.
Ni du passé, ni du présent, ni du futur.
Il y a pourtant un sens dans le rayonnement centrifuge
que produit l’objet (des polémiques),
qui donne une raison interprétative de l’o
rigine.

Le poète dévierait la projection extérieure
- consciencieusement-,
comme un réfléchissant de lumière vers les lecteurs.
Un réfléchissant ? Ce serait trop beau !
Un réfléchisseur, disons.

Il convient que ce projet demeure fantaisiste :
la poésie est un objet qui n’a pas de forme distincte.

C’est un signe qui n’a pas de graphie,
c’est un panorama dont la couleur est libre.

Je n’aurais pas dû écrire
ce que j’ai écrit, ni écrire ce soi-disant, prétendu poème.

Je voulais signifier le mot " poésie " ;
si j’avais voulu signifier " la poésie ",
j’aurais composé sur une feuille blanche,

j’aurais accompli l’impossible.

C’est ce que Honfleur m’a appris :
plus je m’éloigne d’elle,
plus je suis loin de toute poésie.

J’y reviendrai :
tout aura changé de fond en comble.
J’espère y être
et n’y avoir nulle présence.

Le donjon immortel
ne sera qu’une antiquité en ruines.

Le port ne sera plus le même,
j’aurai voyagé par monts et par vaux,

fort de ce qu’il fut,
étranger à ce qu’il est,
ignorant de ce qu’il sera.

Mon existence : un destin méconnu,
mon œuvre, un testament invisible,
où je pourrai souffler enfin à l’oreille des lecteurs :

« va, ce n’est qu’un rêve. »


Novembre 2007
(tous droits réservés (c))

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